Questions posées par des Français du Japon à Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l’étranger

Exclusif : Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée aux Français de l’étranger, répond aux questions des Français du Japon

Les sections de Tokyo et du Kansai de l’association Français du monde-Adfe  ont rassemblé un certain nombre de questions que nos compatriotes du Japon se posent et qu’ils ont souhaité adresser à Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée aux Français du Japon, à l’occasion de sa venue au Japon, le mardi 9 octobre 2012. Ces questions lui ont été présentées par thèmes. Nous remercions vivement la représentante du nouveau gouvernement français d’avoir répondu à nos interrogations et d’avoir rappelé les convictions qui l’animent et le programme d’actions qui est le sien.

Le nouveau gouvernement et les Français établis à l’étranger

Français du Monde- Adfe : On sait très peu de choses de ce que représentent pour le nouveau gouvernement les Français de l’étranger : à l’échelle ministérielle quelles seront les actions prioritaires ? Quels changements peut-on en attendre ? (Si beaucoup de Français de l’étranger se soucient parfois peu de la France, c’est peut être parce que la France leur donnait jusqu’ici l’impression de ne pas vraiment s’intéresser à eux. Peut-on espérer notamment des actions favorisant une meilleure cohésion, une meilleure prise en compte et une meilleure reconnaissance des Français de l’étranger ?)

Mme Hélène Conway-Mouret : Ma nomination comme ministre déléguée chargée des Français de l’étranger témoigne de toute l’importance qu’attachent le président de la République et le Premier ministre au rôle et à la place que tiennent les Français de l’étranger au sein de la nation. Pour l’ensemble du gouvernement, le cap est clair, il s’agit de redresser la France, dans la justice et l’équité.  Ce redressement passe notamment par l’action internationale et la mobilisation de nos compatriotes vivant à l’étranger.

Mes attributions sont clairement posées par le décret du 20 juillet 2012 qui  indique que je traite, par délégation du ministre des affaires étrangères, de toutes les affaires concernant les Français de l’étranger, notamment les questions relatives à leur représentation, à leur administration, à leur sécurité et à leur protection sociale. Je traite également, par délégation du ministre des affaires étrangères, des questions relatives à la scolarisation des Français établis hors de France.

A partir de cette feuille de route, j’ai identifié huit priorités : faire des Français de l’étranger des acteurs du redressement en favorisant la mobilité économique, assurer la sécurité des communautés françaises, maintenir une protection sociale de nos communautés, accompagner nos compatriotes à l’étranger en adaptant le réseau consulaire aux réalités géographiques et démographiques, moderniser les services consulaires par un effort accru de simplification et de dématérialisation des procédures, permettre au plus grand nombre de nos enfants d’accéder à un enseignement en français, réfléchir à l’évolution du réseau d’enseignement français et proposer des réformes structurelles qui permettront sa pérennisation, améliorer le dispositif de représentation politique des Français de l’étranger. 

Scolarisation dans les établissements d’enseignement français : système des bourses

Français du Monde- Adfe : Les frais de scolarité très élevés pénalisent particulièrement les familles aux revenus moyens ne pouvant pas bénéficier de bourses dans le système actuel. Celles-ci ont donc été très surprises et embarrassées par le caractère précipité de la suppression de la PEC, alors même que les démarches administratives effectuées semblaient leur en garantir le bénéfice. La promesse d’une réforme du système des bourses ainsi que l’engagement pris par le Président de la République le 10 juillet dernier de reverser au budget des bourses la totalité des crédits de l’ancienne PEC ont donc suscité de grands espoirs. Or le projet de loi de finances ne prévoirait à ce jour qu’un reversement très partiel. Ce serait une énorme déception. Il n’y a pas de changement sans un système des bourses plus juste. Or aujourd’hui, alors même que la suppression de la PEC prend effet immédiatement, les critères en vigueur pour les bourses restent sans changement ceux issus de la dégradation du système des bourses par le gouvernement précédent (coefficient K modifié en 2010). Que comptez-vous faire, Madame la Ministre, pour remédier à cette situation ?

Mme Hélène Conway-Mouret : J’attache, tout comme vous, la plus grande importance à la scolarisation en français des enfants de nos compatriotes à l’étranger. C’est une question fondamentale, primordiale et même stratégique pour l’influence de notre pays et le développement des communautés expatriées. La suppression de la prise en charge était justifiée à la fois par un impératif de justice sociale mais aussi par le poids budgétaire du dispositif qui pesait de manière injuste  et inéquitable sur l’ensemble de notre politique d’aide à la scolarité. Elle ne concernait en effet que 7 % des élèves alors qu’elle mobilisait 25 % de la dotation de soutien aux élèves, et ce sans condition de ressources.

Conformément à l’engagement du Président de la République, les crédits consacrés à la PEC sont bien reversés sur les bourses dans le cadre du triennum budgétaire. Cette programmation sur 3 ans avait été annoncée. Elle assure une stabilité du système, permet une visibilité, garantie les ressources sur les trois années avenir, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Les bourses sont donc portées de 93,6 millions d’euros à 110,3 millions d’euros pour 2013. Puis, elles s’élèveront à 118 millions pour 2014 et à 125,5 millions en 2015. Cela correspond à une augmentation totale de 31,9 millions d’euros, soit les crédits initialement consacrés à la PEC.

Notre ambition est de rétablir les équilibres financiers qui avaient été ces dernières années mis à mal, et ce dans le respect de la justice sociale. C’est pourquoi j’ai engagé un processus de réforme en profondeur de l’aide à la scolarité. Le système qui prévaut pour l’octroi des bourses doit être plus démocratique, ouvert à davantage de familles, plus équitable dans sa répartition. Nous y avons travaillé ces dernières semaines sans relâche. Le résultat de ces travaux a été présenté le 10 octobre 2012 à la commission nationale de bourses, démonstration de la volonté du gouvernement d’engager la concertation avec toutes les parties prenantes. Cette réunion a été l’occasion de recueillir l’avis de tous et permettra de proposer le 22 octobre un système qui réponde au souci fondamental de justice et d’équité, en assurant la soutenabilité budgétaire.

Par ailleurs le ministre des Affaires étrangères m’a remis début septembre une lettre de mission sur les enjeux du développement de notre politique scolaire à l’étranger dont la double fonction, scolarisation des enfants français et mission d’influence, doit être maintenue.

Rapprocher la France des Français établis à l’étranger : pour une modernisation administrative

Français du Monde- Adfe : Au Japon comme ailleurs, un certain nombre de Français vivent géographiquement loin des consulats. Pour eux, comme pour les autres ressortissants, avez-vous pour objectif de mettre en place des procédures de dématérialisation et de simplification des procédures administratives ?

Mme Hélène Conway-Mouret : J’ai souhaité qu’une réflexion globale sur le réseau consulaire soit engagée. Pour cela j’ai mis en place, dès l’été dernier, un groupe de travail restreint dirigé par l’Ambassadeur Daniel Lequertier qui formulera des recommandations pour la fin de l’année.

Je suis partie du constat suivant : depuis des années nous avons procédé à des fermetures de postes sans pour autant repenser en profondeur les  missions et tenir compte des réalités géographiques, démographiques et stratégiques de notre présence.Il nous faut  donc repenser notre réseau alors  même  que le nombre de nos citoyens à l’étranger ne cesse de progresser et que ceux-ci sont les mieux protégés et les mieux administrés au monde.  

Cette réflexion doit tenir compte des réalités économiques auquel notre pays est confronté tout en préservant  l’essentiel des missions de service public auxquelles les Français de l’étranger sont attachés et qui font notre fierté. Les possibilités de simplification, d’allègement et de dématérialisation des procédures existantes seront  également au centre de notre réflexion.

Dans cet esprit, j’ai lancé lundi 8 octobre dernier à Pékin un dispositif mobile de recueil des données  biométriques, destiné à faciliter les démarches de demande de passeport à ceux  qui habitent loin de leur consulat de rattachement. Ce système baptisé Itinera était attendu de longue date par nos compatriotes. Il sera déployé courant 2013 dans l’ensemble du réseau consulaire et permettra ainsi d’offrir un service de proximité aux Français éloignés des postes consulaires.

Rapprocher la France des Français établis à l’étranger : pour un système de représentation plus proche

Français du Monde- Adfe : La participation des Français de l’étranger aux élections est beaucoup trop faible. C’est que leurs représentants actuels (conseillers AFE, sénateurs, députés) leur paraissent bien trop éloignés. Une échelle de représentation plus proche et plus accessible, comme des conseillers consulaires élus, ne pourrait-elle pas contribuer à y remédier ?

Mme Hélène Conway-Mouret : L’élection en juin dernier, pour la première fois, de onze députés représentants les Français de l’Etranger qui s’ajoutent aux douze sénateurs élus par l’Assemblée des Français de l’étranger change la donne de la représentation politique à l’étranger et nous conduit à réfléchir à une réforme de la représentation des Français établis hors de France.

Une décision du gouvernement sur ma proposition sera prise d’ici la fin de l’année. Plusieurs objectifs portent notre réflexion : rapprocher les élus du terrain, élargir les attributions et repenser les compétences des élus au niveau local et national, améliorer la représentativité des élus et  élargir la base électorale des Sénateurs.Notre souhait est d’aller dans le sens d’un renforcement de la démocratie locale. La proximité est une exigence de citoyenneté pour nos compatriotes résidant à l’étranger au même titre que pour tout citoyen français. A la suite de la concertation que je suis en train de mener, je présenterai les options concrètes que le Ministre des affaires étrangères et moi aurons retenues.

Protection sociale et action sociale.

Français du Monde- Adfe : La Caisse des Français de l’Etranger (organisme privé mais aussi sous la tutelle de différents ministères) ne peut-elle pas diminuer les cotisations, notamment concernant l’assurance vieillesse, permettant ainsi à une frange de notre communauté relativement « marginalisée » d’intégrer le système de couverture sociale français (ou d’y rester) ?

Mme Hélène Conway-Mouret : Je travaille en étroite collaboration avec le ministère des Affaires sociales et le ministère de l’économie et des finances, qui exercent conjointement la tutelle sur la Caisse des français de l’Etranger (CFE), sur toutes les questions qui  concernent la couverture sociale de nos compatriotes. Je suis également très attentive aux projets visant à simplifier la vie de nos retraités à l’étranger. Je pense en particulier au projet mené par la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV) portant notamment sur la coordination de plusieurs caisses de retraite, ce qui évitera à nos ressortissants concernés de devoir envoyer un certificat d’existence trop fréquemment.

En matière d’action sociale, la France est l’un des rares Etats, si ce n’est le seul, à mettre en œuvre un dispositif consulaire d’assistance et de secours aussi complet. C’est une de ses spécificités emblématiques de notre réseau consulaire et nous devons maintenir ce dispositif de solidarité vis-à-vis de nos compatriotes les plus défavorisés. Dans le prochain triennum budgétaire 2013-2015, les crédits d’action sociale ne seront pas soumis à la norme de 15% de réduction et seront donc maintenus au niveau actuel. De même, l’engagement de l’Etat en faveur de nos compatriotes en situation de grande précarité qui relèvent de la 3ème catégorie aidée de la CFE, est préservé.

Sécurité 

Français du Monde- Adfe : Face aux risques naturels, industriels ou aux tensions géopolitiques qui pourraient concerner le Japon, quel dispositif la France peut-elle déployer en faveur de nos compatriotes ? 

Mme Hélène Conway-Mouret : Le dispositif de protection des Français résidents à l’étranger ou de passage repose sur les 220 plans de sécurité des ambassades et des consulats. Une actualisation systématique de tous les plans de sécurité a été lancée en mars 2012, avec pour objectif la mise à jour de 75 % de ces plans d’ici la fin de cette année.

Chaque plan sera donc actualisé et transféré dans un nouveau logiciel, Phèdre III, plus moderne, plus interactif et plus opérationnel que le précédent. Les plans de sécurité des postes s’en trouveront simplifiés. Ils comporteront par ailleurs une rubrique consacrée aux contacts à activer, en temps de crise, dans le pays concerné. Cette rénovation progressive du « socle de sécurité » s’enrichit en permanence de l’expérience acquise au fil des crises.

Ainsi, le séisme survenu en mars 2011 au Japon et ses suites ont conduit à renforcer substantiellement les dispositifs de sécurité des postes. À la suite de cette crise, une circulaire concernant l’organisation des cellules interministérielles de crise (CIC) en cas de crise majeure a été adoptée par le Premier ministre. Le plan de sécurité de l’ambassade de Tokyo a été adapté dans la perspective d’un séisme de grande ampleur au large de Tokyo. Le Centre de crise du Ministère des Affaires étrangères a pu le vérifier lors d’une mission d’assistance et de conseil menée en juin 2012.

Relations France-Japon : vers une ratification par le Japon de le Convention internationale de La Haye ?

Français du Monde- Adfe : A la suite d’un divorce dans un couple franco-japonais, des Français se sont retrouvés privés du droit au partage de l’autorité parentale et même du droit de visite de leur enfant. Le Japon, qui avait envisagé de signer la Convention de La Haye sur les enlèvements d’enfants, ne l’a pas encore fait. Comment comptez-vous défendre les droits de nos compatriotes confrontés, comme d’autres étrangers, à ce problème ?

Mme Hélène Conway-Mouret : Le dispositif juridique actuel ne permet pas de régler de manière satisfaisante, la question des déplacements illicites d’enfants franco-japonais de la France vers le Japon et cette situation ne manque pas de me préoccuper. Le droit japonais ne reconnaît aucun partage de l’autorité parentale en cas de divorce de ses parents et de nombreux pères français n’ont plus aucun lien avec leurs enfants.

 Le 1er décembre 2009, un Comité de consultation franco-japonais sur l’enfant au centre d’un conflit parental a été créé. La France est le premier pays à avoir mis en place une telle structure avec le Japon. Il réunit, tous les six mois, des représentants des ministères des Affaires étrangères et, désormais, du ministère de la Justice français. Il vise notamment à maintenir avec les autorités japonaises un dialogue constructif notamment sur le processus d’adhésion à la convention de La Haye. Le prochain Comité devrait se réunir à Paris en décembre prochain. Depuis, un comité analogue a été mis en place entre les Etats-Unis et le Japon. Le 20 mai 2011, le gouvernement japonais a officiellement annoncé sa décision de se préparer à l’adhésion du Japon à la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (CLH). Cette décision est encourageante et nous ne pouvons que nous en féliciter.

Je serai très attentive à l’activité des services compétents et des postes diplomatiques et consulaires qui soutiennent activement le processus d’adhésion et veillent à ce que l’enfant déplacé puisse bénéficier de la protection consulaire.

Je comprends la situation de détresse morale dans laquelle se trouvent les parents concernés par ces situations et je veux leur dire que sur ce dossier, nous progressons, lentement, mais nous progressons. Je m’y impliquerai personnellement, mais il convient de garder à l’esprit que l’environnement juridique et politique est complexe.

Relations France-Japon : rôle des Français dans un approfondissement des relations économiques et commerciales 

Français du Monde- Adfe : Le ministre des Affaires étrangères, M. Laurent Fabius, que nous savons être très attaché au renforcement des relations franco-japonaises comme vous, a chargé M. Louis Schweitzer d’une mission sur le Japon. Avec cette relance diplomatique, l’objectif est de dynamiser les relations économiques et commerciales entre nos deux pays. Quel rôle les Français peuvent-ils jouer  et quel message souhaitez-vous leur délivrer ?

Mme Hélène Conway-Mouret : Le ministre Laurent Fabius l’a rappelé lors de la Conférence des ambassadeurs, l’enjeu économique est aussi diplomatique : c’est celui de la place et du rôle de la France dans le monde. Le redressement économique qui est la priorité de la France, passe donc notamment par l’international. Dans ce cadre le Japon, qui reste une grande puissance économique, constitue pour la France, un partenaire essentiel. Deuxième partenaire économique de la France en Asie après la Chine depuis 2003, l’archipel représente la première destination des investissements français en Asie. Par ailleurs, le Japon est le premier investisseur asiatique en France. Les échanges entre nos entreprises sont donc constants. Ces chiffres montrent à eux seuls, combien la relation entre les deux pays est fondamentale, combien le rôle de nos compatriotes pour développer et enrichir cette  relation est stratégique.

En accord avec Laurent Fabius et Nicole Bricq, notre ministre du Commerce extérieur,  j’ai décidé de lancer un grand chantier de réflexion qui devrait mener en 2013 à la mise en œuvre de mesures concrètes pour aider les entreprises et nos compatriotes dans leurs projets d’expatriation. Je souhaite créer un instrument de soutien et de préparation à l’expatriation, optimiser l’information sur l’emploi à l’international, encourager et soutenir la mobilité internationale en soutenant les projets d’expatriation de nos concitoyens.

Les Français de l’étranger sont des moteurs pour notre pays, ce sont des vecteurs d’influence à travers le monde et  les exemples de Français ayant réussi hors de nos frontières sont nombreux.

Je souhaite que leur expérience soit valorisée.

 

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